Par Fanny Bauer-Motti
Nous avons tous en nous un préalable culturel interprétatif qui colore notre vision du monde, de la vie, des concepts et des notions que nous rencontrons dans l’expérience qu’est la vie ici-bas. La vie, la mort et l’amour se rencontrent à travers notre culture. Les mécanismes psychiques tels que Freud les décrit sont universels, mais leur expression est tout aussi singulière que culturelle. Le langage dans lesquels s’expriment nos rêves passe tant par notre histoire, que notre Histoire, que notre culture. Au Brésil, dans la région de Salvador Bahia, la religion s’exprime sur un mode bien souvent syncrétique. La vie après la mort et les esprits sont à côté des vivants. Cette analyse de la vie est très répandue et dans le cadre d’un travail de psychothérapie, l’écoute doit passer par ces particularités culturelles.

Je rejoins le psychologue Irvin Yalom qui écrit que la compréhension et la guérison passent par la croyance et non pas en dehors de la croyance du sujet. Nos croyances sont des fondements et des piliers identitaires qui sont souvent salvateurs. Être psychologue dans une culture autre que celle dans laquelle nous nous sommes façonnés, ou aux côtés d’une personne culturellement autre, passe par un très long temps d’écoute et de compréhension de la culture et du système culturel de celui qui exprime son histoire.
La psychothérapie à Salvador Bahia
Au Brésil, dans la région de Salvador Bahia, le système de croyances issu du Candomblé, du Kardécisme et de l’Umbanda implique la pérennité de l’âme qui se réincarne successivement dans plusieurs vies avec comme but l’évolution de l’âme. L’être humain, de vie en vie, s’améliore et se découvre afin de rejoindre « Dieu ». Le rapport à la vie est donc à entendre et à concevoir sur « plusieurs vies ». Celui qui consulte un psychologue, se structurant dans cette croyance-là, aura en tête que ses problématiques d’aujourd’hui dépassent « sa vie ». L’angoisse phobique de « tomber d’un balcon », par exemple, ne s’appréhendera pas uniquement sur un plan traumatique mais aussi comme un élément à comprendre en lien avec ses autres vies. Indication que quelque chose s’est passé, que quelque chose est resté. Le psychologue doit prendre en compte ce rapport au temps pour pouvoir aider la personne qui vient le voir à cheminer.
Ainsi, plusieurs éléments reviennent souvent chez les personnes qui se sont structurées dans cette mouvance. Le fait de pouvoir voir en son psychologue ou en toute autre personne d’ailleurs, tout d’un coup, le visage d’un aïeul. En France, nous l’aborderions du côté du transfert, mais du côté de Salvador Bahia c’est à entendre tant dans le transfert que dans la banalité d’une croyance en un aïeul qui transmet un message. Peu importe qu’il s’agisse d’un d’un mouvement inconscient ou d’un grand-père qui viendrait faire un « coucou », le psychologue doit simplement y repérer l’histoire et la singularité du sujet pour y comprendre ce qu’il y vit. Ce qu’il y dit.
La réincarnation crée un système de croyances où les places sont interchangeables. Les âmes descendent en groupe d’âmes et, de vie en vie, peuvent évoluer ensemble. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre : « Je pense qu’il a été mon père dans une autre vie », « Peut-être que ma mère était ma femme dans une autre vie ».
Il ne s’agit pas que de considérations œdipiennes mais bel et bien d’un tissu de croyances qui existent pour ceux qui s’y structurent, comme peut exister pour d’autres la notion de vie qui ne dépasse pas la mort du corps. Ici, le psychologue peut y entendre et y comprendre la trace d’un chemin et d’un lien entre la personne qui raconte son histoire et celui ou celle dont il exprime le lien à travers les générations, mais aussi et simplement le système de croyances qui colore le lien à cet endroit-là.
Les esprits au cœur de la société
À Salvador Bahia, si vous allez faire un tour dans les librairies, vous y trouverez une section réservée aux auteurs qui ont écrit des livres en collaboration avec des ‘esprits’. Certains auteurs sont très connus, c’est le cas de Allan Kardec, auteur français qui a créé un mouvement de pensée « spirite » fortement suivi là-bas. Mais aussi des auteurs qui ont « aidé » de nombreuses personnes à cheminer et que je retrouve souvent dans mes échanges avec les Bahianois. Il s’agit de Pai Joāo de Aruanda par exemple. Un homme qui après s’être incarné en « Maître », serait revenu en « esclave noir ». Quelques phrases de lui, assez connues, nous donne la teneur de son discours : « La vraie libération est celle de l'âme, qui peut un jour s'envoler librement comme les hirondelles dans le ciel de sa propre vie. Pas de chaînes, pas de cordes, pas de béquilles.”
Vous y trouverez aussi des centres qui sont en fait de vraies cliniques spirites promulguant des soins grâce et par ‘les esprits’. Pour ceux qui les visitent et qui ne sont pas habitués à ce type de lieu et de rites, cela peut surprendre, mais c’est en fait aussi intégré à la société que peuvent l’être en Occident les centres de méditation ou de santé liés aux méthodes naturelles, à la différence que cela s’appuie sur une croyance en les esprits qui aident à cheminer dans “le monde des vivants’’. Les personnes que vous croisez sur place sont des professeurs, des intellectuels, des personnes du monde médical ou tout citoyen lambda. Il ne s’agit pas de folklore mais d’un regard sur le monde empreint de l’idée du monde de l’invisible.
Ainsi, la maladie, les épreuves, les joies et les malheurs se vivent autant sur le plan psychique que sur un plan qui va d’emblée vers une question : “Qu’est-ce que je dois y comprendre pour évoluer ?” Finalement, une question universelle que l’on trouve dans toutes les grandes spiritualités et philosophies. La psychologie accompagne tous les mouvements de l’homme avec une autre grande question en son centre : “Qui suis-je et qu’ai-je à découvrir à l’intérieur de moi”? La psychothérapie aide l’homme à devenir ce qu’il est, à partir de son regard. Un regard empreint des milliers de chemin qu’il à déjà parcourus.
Fanny Bauer-Motti
Docteur en psychologie clinique et psychopathologie
Psychologue, psychanalyste