Par Dr Khalil Elahee depuis l'Ile Maurice

Dans une certaine presse en France, la couverture des élections à Maurice est effrayante. Plus grave, la page en français de Wikipédia sur notre pays, immédiatement mise-à-jour, s’y réfère. Ainsi, si nous recherchons ‘île Maurice’, Wikipédia nous renvoie à une longue rubrique sur … la religion, presque totalement dédiée à une présentation trompeuse de l’islam à Maurice. Au moment où l’islamophobie fait débat en France, n’y-a-t-il pas là un exemple flagrant de haine antimusulmane dont peut faire les frais l’image de notre pays ?
Il nous faut faire une différence entre la France et certaines personnes qui manipulent les média, y compris Wikipédia. N’oublions pas que l’île Maurice fût pendant presqu’un siècle l’isle de France. Hors les terres musulmanes, c’est là que fut bâtie la Mosquée Al Aqsa, la toute première de France en 1805. Déjà, au lendemain de la Révolution Française en 1794, l’assemblée coloniale de l’isle de France refusait de se soumettre au décret républicain stipulant la fin du paiement des frais et des salaires des cultes. Un an plus tard, elle récidiva en établissant, sans l’accord de la Métropole, un tribunal de révision pour déterminer, entre autres, si les « jugements ne représentent aucune contravention à la loi…lorsqu’il y a eu fausse application des lois pénales, lorsque les formes ou procédures prescrites par la loi…ont été violées ou omises, etc. ».
Notre pays, depuis, a connu la colonisation britannique en 1810, l’Indépendance en 1968 et l’accession au statut de République en 1992. Ces expériences dans la construction d’une nation, souvent en résistant aux puissances de l’époque comme le faisait l’assemblée coloniale ou comme nous continuons à le faire par rapport au Chagos et à Tromelin, ont consolidé notre vivre-ensemble dans le pluralisme, bel et bien vivant en 2019.
Les récentes élections générales le démontrent : les citoyennes et citoyens de foi musulmane, fiers de leur appartenance à la République de Maurice, contribuent au même titre que les autres concitoyens activement à la vie politique. Ils en demandent même davantage à voir leur attente lors de la désignation des députés et la nomination des ministres ou à d’autres postes.
L’islamophobie
Comment expliquer donc la parution en France de titres comme ‘La lente montée de l’islam radical à Maurice’, ‘Ile Maurice : inquiétante montée de l’islam radical’ ou encore ‘Sous le sable, la charia’ ? Souvent, ces articles s’accompagnent sur les réseaux sociaux de commentaires insultants incitant à une haine antimusulmane. Tout cela au moment même où beaucoup s’indignent contre une escalade de l’islamophobie dans l’Hexagone. L’attentat sanglant contre la mosquée de Bayonne et l’humiliation en public d’une femme portant le foulard ne sont que des symptômes d’un malaise qui est profond, menant certains, les mêmes nous verrons, à voir une ‘lente’ et, contradictoirement, ‘inquiétante’ poussée de l’islam dit ‘radical’ jusqu’à… Maurice. Notre réalité est bien différente car la charia n’y couve ni sous le sable, ni sous le sabre. C’est ce que quiconque fréquentant notre pays pourra témoigner, sauf s’il ne veut pas voir la vérité.
Or derrière ces articles, nous retrouvons une personne dont la spécialité est ni l’histoire ni la société mauricienne. Il s’agit d’un homme qui s’est taillé une carrière en s’attaquant au Professeur Tariq Ramadan. S’il n’est pas le seul à s’opposer ainsi à ce dernier, par contre il a pris la peine de faire le déplacement à Maurice avant les élections, de couvrir à sa façon très singulière la campagne en ne s’intéressant qu’aux musulmans et de ne jamais manquer dans tous ses papiers à dénigrer sa cible préférée, le Professeur Ramadan.
Amalgame
Le comble est qu’il finit par associer ce dernier à un groupe ‘ultra-minoritaire’ contre lequel le Professeur Ramadan n’a cessé d’alerter les Mauriciens durant ses onze visites sur plus de treize années. Au contraire, le message d’ouverture qu’il porte, connu, partagé et apprécié des Mauriciens, a toujours été dénoncé vigoureusement par ce groupe ainsi que d’autres semblables qui se sont succédé depuis 1995. L’amalgame entre ‘rejeter les lois humaines’, ‘exposition de photos uniquement autorisée aux hommes’, ‘annulation de la Gay Pride’, ‘charia’, ‘allusion au Mossad ’, ‘burqah’, ‘Daesh’, ‘organisation qatarie qui fait la promotion de la Confrérie des Frères musulmans’ et ‘Mohamed Merah’ est trop beau pour ne pas y ajouter les visites du Pr Ramadan. En France, c’est apporter de l’eau au moulin des islamophobes. Ainsi, notre nation devient ‘gangrenée depuis quelques années par un fanatisme religieux, exporté par le Qatar et par Tariq Ramadan, visiteur assidu du pays depuis 1995’. Voilà une grossière référence que retient la version en français de Wikipédia.
Critiquer, avoir peur de ou ne pas aimer l’islam, ce n’est pas cela l’islamophobie. Cela a toujours existé, ne peut être empêché, ne signifie pas la haine ou l’incitation à celle-ci. Tout musulman peut être critiqué, sa lecture ou sa pratique de la religion. La colonisation, l’immigration, l’histoire de la relation entre l’État et les religions comme le contexte socio-économique ont fait de la France un terrain de tension sur tout ce qui touche l’islam et les musulmans. Pour ces derniers, ce qui importe c’est la question de savoir comment vivre pleinement l’islam dans la réalité de leur environnement et de leur époque. Certains pensent que cette question est insolvable, d’autres que plusieurs solutions existent. Traduire ces solutions dans le concret est un défi auquel fait face aujourd’hui de nombreux musulmanes et musulmans, ensemble avec leurs concitoyens qui ne partagent pas toujours leur foi. D’autres parmi ces derniers croient que toute référence à l’islam, ou à la religion, serait déplacée.
La question et le défi demeurent, se posent en France comme à Maurice. C’est le cas aujourd’hui, il le sera aussi demain. Ces articles en France dans une certaine presse, sous la plume d'une personne avec un agenda particulier, tendent à faire croire qu’être Mauricien musulman, musulman Mauricien ne serait qu’un mythe. De telles publications dans la presse locale auraient été perçues comme une insulte vis-àvis de la communauté musulmane, une possible incitation à la haine et à la division à la veille des élections.
Que Dieu protège notre pays de telles dérives islamophobes.
Dr Khalil Elahee