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Détention : " J’ai assisté à des scènes hallucinantes"

“J’ai été incarcéré pendant cinq ans à la maison d’arrêt de Bourges, Fleury-Mérogis, et Orléans. Il y a deux poids deux mesures dans la justice, la justice n’est pas la même pour tout le monde “.



J’ai été interpellé à 6 heures du matin dans l’appartement de mon ex par une trentaine de gendarmes, je m’y attendais vraiment pas, c’était en plein mois d’avril 2010, pour une affaire de stupéfiants. L’appartement est mis à sac, fouille complète, canapé déchiré, à la recherche de la moindre trace de substances illicites. Un chien renifleur de drogue dressé pour ça renifle le moindre recoin de l’appartement. Rien du tout, une déception pour les enquêteurs, 96 heures de garde à vue avec des auditions à n’importe quelle heure, à l’époque on pouvait pas être assisté d’un avocat à la gendarmerie.


Ensuite, j’ai été déféré au parquet, le juge me regarde droit dans les yeux. Il me dit : “vous répondez à cinq questions précisément que je vous pose et vous serez libre.” Il voulait tout simplement que je balance certaines personnes. J’ai refusé catégoriquement. Le juge en colère donne l’ordre aux gendarmes de me ramener à la maison d’arrêt de Bourges.

Je réalisais que c’est fini pour moi la liberté et pour un long moment, au fond de moi une haine qui m’envahit au plus profond de mon âme, un dégoût de la justice. Un gendarme me regardant me dit d’une voix hypocrite : “T’as joué, t’as perdu” .


En arrivant à la maison d’arrêt de Bourges, empreintes, paperasses administratives, photographié sur plusieurs angles, fouille au corps, une humiliation totale : “Ouvre ta bouche, écarte tes jambes, agenouille-toi”, bref la totale. Après cela, le chef de détention m’a dirigé vers ma cellule arrivante, une odeur pas possible qui se dégage, une grosse flaque d’eau par terre, un robinet qui fuit, des tags partout sur les murs , et un matelas d’une saleté incroyable. Je demande au chef avec beaucoup de respect si je pouvais avoir de quoi nettoyer la cellule, elle me répond d’un ton sec : “Non ! ici t’es pas chez toi!”.

La première chose que je fais , c’est les cent pas dans la cellule tout en réfléchissant à ces dernières quatre-vingt-seize heures de garde à vue. C’est pas possible, c’est juste un rêve , je vais me réveiller, bah, non pas du tout c’est la réalité. 17h30 la porte s’ouvre, l’heure du repas, deux détenus servent la gamelle, un repas dégueulasse. Malgré le ventre vide, j’essaye de me forcer un peu ... 18h, fermeture des portes, plus de surveillants jusqu’au lendemain matin, 6h ...


Mon deuxième jour, 7 heures du matin, ouverture des portes, ronde du matin, le surveillant me réveille pour voir si je me suis pas suicidé. Une heure après, la distribution du petit déjeuner : un petit beurre Président avec un petit sachet de lait en poudre et une baguette. 9h30, promenade d’une heure pour les arrivants comme moi, dans un tout petit rectangle.

La promiscuité totale dans la promenade. Je réalise encore que ça va être ici où je vais sortir en promenade, 1h le matin et 1h l’après-midi, je suis dégoûté, je suis au bout de ma vie, je pense à ma famille, mes proches, mes amis, mes souvenirs de l’extérieur.


Mais j’essaye de montrer que je suis fort psychologiquement, en prison il faut pas montrer sa faiblesse. Mais la réalité est bien autre chose, j’ai la rage ....


La première chose que je fais en rentrant en cellule, c’est d’écrire un courrier à un avocat pour ma défense. J’ai désigné Maître Gaëlle Duplantier, une bonne avocate réputée d’Orléans.


Elle accepte de me défendre, et me rend visite au parloir deux mois après. D’office, elle m’annonce la couleur. Elle me fait savoir que ça va être très long, malgré que je suis en mandat de dépôt présumé innocent. Elle m’explique que l’enquête des gendarmes n’est pas terminée et que ça peut prendre jusqu’à deux ans en attente du jugement. Je repars du parloir en cellule avec une haine qu’il faut vivre pour comprendre.


A partir de ce moment-là, je me suis dit qu’il faut que je reprenne les choses en main, d’avancer, de pas me laisser aller. J’ai fait en sorte d’écrire des courriers à mes proches pour les rassurer, de ne pas s’inquiéter et que j’allais surmonter cette épreuve et que je suis un grand garçon majeur et vacciné et que je devais assumer.


Mais pendant plus de neuf mois, j’ai eu aucune relation avec l’extérieur, ni lettre, ni parloir. C’est la façon de faire du juge pour essayer de mettre la pression sur moi afin que je craque. Ni mandat de reçu, une galère totale, vivre sans argent c’est encore pire, c’est très difficile. Le juge bloquait tout.

En détention, j’ai pris la décision d’étudier un peu et de pas perdre mon temps. J’ai passé un bac littéraire que j’ai obtenu. La chef de détention a décidé de me mettre bibliothécaire, très heureux, avec une petite rémunération de 230 euros par mois .


Après un mois en cellule arrivante, c’était le moment de changer de cellule et de monter à l’étage. Le maton me dit : ”Fais ton paquetage et tu va monter à la cellule 98”. Quand j’arrive dans la cellule, j’aperçois un type d’une cinquantaine d’années qui allait être mon codétenu. Une cellule vide, pas de cantine, mais vraiment sale. Il s’appelait David, il battait sa femme, trois mois ferme. Il a commencé à me raconter son histoire, j’avais pas très envie de l’écouter, j’ai préféré lui dire gentiment d’arrêter. Parce que en prison, c’est beau d’écouter qu’une version. Dans mon paquetage, j’avais une petite bouteille d’eau de javel, il y avait dans la cellule une serpillière, j’ai astiqué toute la cellule. J’ai proposé à mon codétenu de faire le ménage tous les matins chacun son tour, sinon ça allait pas le faire. De vivre dans des conditions décentes.


Avec le temps, j’ai commencé à analyser tous les surveillants. Les premiers mois de mon arrivée en prison, la plupart des matons ont été très désagréables, ils aimaient montrer que c’était eux les boss. Ils étaient très stricts, sans cœur. Je demandais juste une douche, parce qu’il faisait une chaleur atroce en cellule, le maton me l’a refusée. C’est là que j’ai compris qu’en réalité il fallait rien leur demander. Il y en avait un en particulier que j’oublierai jamais, on le surnommait le Boche, Il passait son temps à fouiller les cellules et à verser de la farine exprès par terre, soi-disant il cherchait des téléphones portables alors qu’il savait pertinemment qu’il y avait aucun téléphone. C’était juste pour embêter les détenus, pour les pousser à bout. Une fois il m’a dit : “Qu’est-ce que j’aimerais qu’un détenu me frappe, six mois d’arrêt maladie c’est le top”, il attendait que ça. Il disait jamais bonjour, d’une méchanceté incroyable.


Une fois, un gradé m’a dit : ”De toute façon, je vote Marine Le Pen, regardez la prison, elle n’est remplie que d’étrangers, c’est inadmissible”. Je lui ai répondu que c’est grâce aux étrangers que vous avez du travail. Il savait plus quoi dire. Franchement ce que je comprenais pas, c’était que la plupart des matons étaient très désagréables, ils étaient tous dégoûtés de faire ce travail et donc comme ils ont du pouvoir, ils se révoltent sur les détenus.



 Après, je mettrais pas tous les matons dans le même sac, parce que il y a des matons, ils sont géniaux ils font leur métier dans le respect. Point barre



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J’ai assisté à des scènes hallucinantes, des matons qui montaient la tête des détenus les uns contre les autres, ça les amusait. Une fois un maton a dit à un détenu : “Tu sais, la cellule juste à côté de toi, le mec c’est une balance, c’est une honte que vous faites rien”. Le détenu lui répond : “Mais comment vous le savez ?” Il lui répond : ”J’ai lu son dossier”. Eh ben, le lendemain ça n’a pas manqué, le mec s’est fait molester par plusieurs détenus, les matons sont intervenus 30 min après.


Il y a après beaucoup de choses que les gens de l’extérieur ne savent pas, quand j’entends les journalistes, les politiciens croire les syndicats de surveillants. C’est les matons qui laissent rentrer les téléphones exprès, pour leur tranquillité et pour avoir la paix. J’ai même connu des matons qui rentraient des produits stupéfiants pour des autres détenus. Je suis vraiment sincère dans mes propos, je suis pas là pour les salir.



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Après, je dis pas que je suis innocent sur toute la ligne. J’ai commis des bêtises mais le fait d’enfermer un homme sur des suppositions, sur des dires, c’est insupportable. Il y avait aucune preuve matérielle, il y avait juste deux versions de deux personnes. J’ai été jugé au bout de trois ans, c’est fou trois ans en attente de jugement. En première instance, je suis tombé sur une juge qui s’est fait vraiment convaincre par les avocats, elle m’a condamné à quatre ans ferme avec un an de sursis. Le procureur de la république a fait appel du jugement le neuvième jour, il pouvait faire appel jusqu’au dixième jour après le jugement, délai légal. Il a vraiment attendu pratiquement le dernier jour pour faire appel. J’ai trouvé ça pathétique. Donc j’ai dû attendre encore six mois en détention pour me faire rejuger en appel. Et cette fois-ci, une nouvelle juge m’a condamné à six ans ferme. J’ai trouvé ça vraiment incompréhensible, d’un juge à un autre, ça peut être complètement différent



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En détention, j’ai connu neuf suicides en tout. J’ai le souvenir d’un en particulier, on le surnommait le Belge. La veille, j’ai discuté avec lui à la fenêtre, il était juste en bas de ma cellule. Il m’a dit qu’il allait pas très bien. Il m’a demandé si j’avais pas une cigarette, je lui ai répondu je vais voir avec mon codétenu. Donc j’ai fait un espèce de yoyo. Je lui ai envoyé un paquet de cigarettes. Le lendemain matin, les matons m’apprennent qu’il est mort, il s’est pendu. Trois semaines de cauchemars, j’arrivais plus à dormer, ni à y croire.



 Je réalise que j’ai perdu cinq longues années de mon existence, j’ai été enfermé dans neuf mètres carrés de longues années.


Pour comprendre ce que c’est que le fait d’être enfermé, il faut le vivre, c’est très difficile il faut avoir du mental, du courage, de la patience. Une journée en prison c’est une éternité, la journée ne passe pas. En prison, t’es impuissant, tu peux rien faire, il se passe des choses à l’extérieur et toi tu peux pas agir. T’as des proches qui décèdent, tu peux pas assister à leur enterrement. T’as une petite fille, tu la vois pas grandir. Aujourd’hui j’ai 33 ans, bientôt 34, de mes 25 à 30 j’étais incarcéré.

Ma famille habitait très loin de l’endroit où j’étais incarcéré. J’ai toujours refusé qu’elle me rende visite au parloir.



 J’oublierai jamais, c’est ancré en moi. Je suis sorti il y a plus de trois ans, pas un sou en poche, une sortie sèche. Mais parents m’ont accueilli chez eux, mais par la suite j’ai réussi à trouver du travail et avec de la persévérance à m’en sortir, aujourd’hui j’ai ma maison, j’ai mon travail.



 Je travaille dans un restaurant, je suis dans les Vosges depuis un an. Je suis d’origine d’Orléans.






Quand un juge te pose une question, il aime entendre ce qu’il a envie, quoi que tu dises, il ne te croit pas t’es un menteur.Tant que tu rentres pas dans leur sens, ils font mine de ne pas t’écouter. J’ai même assisté au jugement, les juges rigolaient entre eux, comme s’ils se foutaient de la gueule des accusés. Quand t’es en prison tu décides de rien, t’as aucune décision à prendre par toi-même. Tu dépends des surveillants, tu peux rien faire de toi-même


T’es dans un neuf mètres carrés. Tout ce dont t’as besoin, c’est eux qui le gèrent à leur façon. Après c’est leur bon vouloir : soit ils acceptent, soit ils acceptent pas. Pour eux t’es un matricule, tu deviens un numéro d’écrou rien d’autre.

Ce qui m’a frappé, c’est que les juges en réalité connaissent strictement rien de ta vie. Ils jugeaient un homme sans vraiment le connaître. Juste avec l’enquête des policiers, des écoutes téléphoniques, des filatures physiques, il font de toi le plus gros voyou qui existe.

Après j’ai jamais tué quelqu’un, je suis pas un meurtrier, je suis pas un assassin, je suis pas un pédophile. J’ai toujours été là pour mon prochain, j’ai horreur de l’injustice. Mais pour l’image que tu dégages, c’est l’image d’un monstre.






Après je suis pas là pour faire ma victimisation, ce que je constate c’est qu’il y a deux poids deux mesures, quand t’es étranger, t’as un nom de consonnance étrangère, c’est pas la même justice.



 Certes, j’ai commis des erreurs, mais je méritais pas cinq ans ferme.

J’ai remarqué aussi, c’est que les juges n’aiment pas être contredits par les avocats, ils ne le supportent vraiment pas. Ils veulent avoir toujours le dernier mot, même s’ils commettent des erreurs. Ils aiment le pouvoir. J'ai connu aussi des avocats complices avec les juges et procureurs, il y a des faveurs, des petits arrangements entre eux en fonction du client. comme je dis toujours, je mettrai jamais tout le monde dans le même sac



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Il y a aussi une chose que j’ai jamais comprise et que je comprendrai jamais. J’ai déposé une fois une demande de mise en liberté provisoire, le juge des libertés accepte ma requête, le procureur fait appel. Je repasse devant un autre juge qui refuse finalement la demande. C’est incroyable et fou, j’ai l’impression que t’es un jouet, qu’ils s’amusent avec toi, c’est pas humain des fois. Il y a des moments je rentrais en cellule, je mettais des patates contre le mur tellement que j’étais dégoûté de haine et de rage. "

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