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Quand un penseur est jugé au tribunal public. Le cas Tariq Ramadan

Dernière mise à jour : 27 déc. 2018




Abdourahman Bachir, penseur originaire du Djibouti, s'exprime dans cette tribune sur le dossier Tariq Ramadan et répond à Mohammed al-Shanqiti. Celui-ci avait, il y a peu, écrit un pamphlet très mal reçu par la communauté musulmane.


Au cours des trois dernières décennies, le penseur musulman de renommée internationale était devenu une célébrité et un interlocuteur dangereux dans la presse occidentale. Il a mené des discussions intellectuelles dans les médias occidentaux, en particulier français, et a confronté les extrémistes de la plus juste des manières, mais ce penseur n’est pas un interlocuteur ordinaire, c’est un homme qui lit bien la pensée islamique et la pensée occidentale ainsi que la pensée humaine en général. Etant convaincu que son message n’est pas chose aisée dans la société occidentale, milieu vivant et dynamique, il a dû s’équiper intellectuellement, raison pour laquelle il a décidé de partir en Egypte pour apprendre la langue arabe, la jurisprudence et les finalités de la charia, ce, auprès du théologien égyptien Dr. Ali Gomaa, spécialiste des principes fondamentaux de la jurisprudence et de la charia.

Bon érudit en philosophie occidentale et en philosophie islamique, il possède des capacités extraordinaires à déconstruire la pensée occidentale et à aller en profondeur. Cet homme est doté d'une mémoire vive, un merveilleux style de dialogue avec l'Occident, et une force de persuasion, ce qui fait de lui une figure incontournable dans les cercles intellectuels internationaux.

De langue maternelle française, il maîtrise parfaitement l’anglais et a de bonnes compétences en langue arabe. Il a enseigné en Suisse, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et a été nommé par les autorités britanniques comme consultant dans les questions relatives au ‘phénomène islamique’ et a sa propre philosophie quant à l'islam européen. Les musulmans ont-ils besoin de leur propre islam? Ont-ils besoin de leur propre jurisprudence? Il a présenté dans certains de ses livres sa propre vision quant à ce genre de questionnement.

Le penseur Tariq Ramadan se distingue des autres penseurs occidentaux par :

Premièrement, une bonne compréhension de la réalité occidentale en termes de philosophie et de pensée : il n'aborde pas l'Occident avec un langage émotionnel, mais présente ses recherches dans le langage occidental complexe sans s’éloigner de l'originalité islamique.

Deuxièmement, une présence distinguée dans les médias occidentaux, présence qui se reflète dans la confrontation avec des philosophes, des penseurs et des politiciens dans leur propre langue, se plaçant ainsi au centre du cercle intellectuel de ces derniers, mais se distinguant par sa propre pensée et son langage philosophique.

Troisièmement, une lecture extraordinaire du phénomène religieux : il exerce ses critiques sur des bases solides, loin de tout amateurisme.

Ce penseur complexe dans sa philosophie, ses idées et son argumentation, simple du point de vue de son humanité, impose aux intellectuels une lecture posée de son parcours. Il lui arrive de se tromper, d’avoir raison, de trébucher, de se relever et de reprendre son chemin, mais il n’est pas une personne ordinaire, ni un produit de l’imagination. Le penser ainsi, serait succomber au langage émotionnel loin de tout pragmatisme.

Il est actuellement jugé devant la justice française que nous respectons, et qui est loin d’être un outil politique. Mais sa mise en détention ne relève pas uniquement du pénal, elle est surtout motivée par une vision politique, parce que cet homme a fait face aux politiques sur leur terrain, et n’a pas été vaincu, et pourtant. Nous nous attendons à ce que l’autorité judiciaire fasse son travail en toute indépendance, tel que cela devrait être le cas dans un État moderne.

Pour connaître ce penseur, nous devons disposer des outils de la connaissance et de la complexité humaine. Il est à la fois complexe et simple, c'est un penseur, un être humain, un Européen de confession musulmane aux racines égyptiennes. Il a un rapport complexe avec l’entourage, c'est un islamologue sans affiliation, il manifeste une certaine sensibilité envers l’islam politique, et a des divergences avec un bon nombre de personnes. Il travaille seul sur le terrain, dirige un certain nombre d’institutions, croit en l'action collective, mais n'appartient à aucun groupe. C’est un penseur islamo-occidental, un arabo-occidental et un apolitique, ce qui ne l’empêche pas d’aborder la politique dans ses discours, mais pas aussi profondément que dans son domaine de prédilection. Certes, il excelle en tant que penseur, mais pas en tant que politicien. Il s’agit d’un phénomène étrange. Il n'est pas facile d’appréhender ce personnage dans un article ou deux.

Nous ne défendons pas le Prof. Tariq Ramadan, mais les valeurs auxquelles nous croyons, ainsi que les normes qui doivent être présentes lorsque nous traitons de la personnalité d’un érudit. Il est donc nécessaire de prendre en considération certains aspects lorsque nous abordons des phénomènes humains influents et importants :

1 – L’équité est requise dans la lecture des idées, des peuples, des groupes et des nations. Il serait injuste de réduire le parcours d'une personne à une étape de sa vie. Il ne faut ni sous-estimer ni surestimer cette personne, il faut peser les choses avec précision. Jadis, Ibn Taymiyah (paix à son âme) préconisait de la justice et de la science ensemble pour traiter avec les gens.

2 - Distinguer entre la pensée et le travail est primordial, surtout quand on sait que le penseur, aussi important soit-il, est un être humain, et qu’il n’est pas juste de minimiser son savoir et sa pensée profonde suite à une erreur commise ou même une grande offense : combien des compagnons du Prophète (paix et bénédictions de Dieu soient sur lui) avaient bu de l’alcool et avaient été condamnés ; combien de ses compagnons avaient par erreur et injustement tué des personnes au cours des combats, sans avoir été punis. Tel était le cas de Khalid (paix à son âme). D’un côté il y a des erreurs humaines, et d’un autre côté, un théologien et un penseur musulman exerçant son droit naturel de l'ijtihad (l’interprétation religieuse). Par conséquent, les relier arbitrairement c’est commettre une erreur méthodologique. Il faut, au contraire, bien les différencier.

3 - Nous ne traitons pas les savants comme des référents religieux infaillibles, nous les traitons en tant qu'êtres humains, et les humains ont leur équilibre d’actions en fonction duquel ils seront jugés dans l'au-delà. Il n’est point de penseur parfait, ni de surhomme.

4 - Nous ne devrions pas nous limiter à lire le penseur à un instant donné de sa vie, mais nous devrions disposer d’un chemin intellectuel dans lequel s’intègre le passé, le présent et l'avenir, car il peut nous arriver d’être en désaccord avec un penseur à l’instant présent, et être en accord avec lui à l'avenir, surtout lorsqu’il s’agit d’un penseur prolifique comme l’est le Pr. Tariq Ramadan.

5 - Le pouvoir judiciaire occidental ne considère pas « les relations sexuelles consenties » comme un crime, mais une certaine personne prétend que [le Prof. Ramadan] a eu des relations sexuelles non-consenties avec elle, sous une forme de contrainte, bien qu’il n’y ait rien qui ne prouve cela dans la procédure judiciaire, comme l’affirme l’avocat du Prof. Ramadan. A-t-il eu des relations sexuelles avec certaines femmes?

Nous ne confirmons ni n’infirmons cela, mais attendons l’issue finale de l’affaire. Et pourtant, il [Dr. Ramadan] n'est ni un saint ni un savant infaillible, et peut avoir commis - ou pas - ce qui lui est reproché. Une personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. Mais nous affirmons également que le Prof. Ramadan restera un prodige, un penseur exceptionnel, un grand écrivain et un éminent savant. Par conséquent, ce serait injuste que certains soient sans pitié avec lui, à un moment où miséricorde et humanité se font rares.

Je suis un partisan du grand penseur politique, le Dr. Muhammad al-Shanqiti, professeur d'études politiques au Qatar, je suis même un admirateur de son raisonnement et sa tolérance, mais il a manqué de perspicacité dans ce qu'il a écrit récemment à propos du Prof. Ramadan, son ancien collègue avec qui il avait travaillé et collaboré, collaboration suivie de discorde. Telle est la loi de la vie.


Mais il faut donner du temps au temps afin que les choses s’éclaircissent, car il n’est pas juste de décrire le [Prof. Ramadan] comme un ‘monument d'un monde imaginaire’. Ce n'est pas le cas de la grande figure intellectuelle qu’est le Prof. Ramadan. Il n’est certes pas un intellectuel infaillible, mais un penseur et un militant.

Que lui est-il arrivé ? A-t-il été exclu du monde de la pensée ? Est-il tombé de haut ? J'ai lu l'article du Dr. al-Shanqiti dans les papiers du printemps arabe sur le Professeur Ramadan ("Ramadan, était un monument imaginaire qui s’est effondré"), un texte chargé et éloigné de la méthodologie du Dr. Mohammed al-Shanqiti, raison pour laquelle j’ai estimé qu'il était de mon devoir de défendre les valeurs et l'éthique. Abdourahman Bachir

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