Que fait le ginkgo (un arbre), le nautile (un mollusque) et le cœlacanthe (un poisson) ont tous un point commun ?
Depuis 85 ans, le cœlacanthe est surnommé « fossile vivant » car il évoque une époque révolue, celle des dinosaures. Ces poissons appartiennent aux sarcoptérygiens, un groupe qui comprend également poisson-poumon (poisson avec des poumons) et tétrapodesun groupe auquel appartiennent également les humains. Les tétrapodes sont des vertébrés (animaux dotés d’une colonne vertébrale) qui partagent des caractéristiques anatomiques spécifiques, notamment la présence d’un humérus (os des membres antérieurs), d’un fémur (os des membres postérieurs) et de poumons.
Peu d’espèces de vertébrés suscitent autant de curiosité que le cœlacanthe, tant pour l’histoire fascinante de sa découverte que pour son statut de « fossile vivant ». De plus, les deux seules espèces vivantes de cœlacanthe, survivantes de ce long processus évolutif, sont désormais menacées d’extinction.
Mais le cœlacanthe mérite-t-il vraiment cette étiquette ? Et que nous disent les fossiles de cœlacanthes sur cette curiosité évolutive ?
Respectivement paléontologue, biologiste évolutionniste et modélisateur écologique, nous jetons dans cet article un nouveau regard sur l’histoire évolutive des cœlacanthes vieille de 410 millions d’années. En utilisant les dernières avancées technologiques et les méthodes d’analyse innovantes disponibles, nous travaillons à mieux comprendre le évolution de ces espèces fascinantes, souvent appelées « fossiles vivants ».
Une découverte majeure en Australie occidentale
Notre recherche, récemment publiée dans la revue Communications naturellesidentifie et décrit les fossiles d’une espèce de cœlacanthe éteinte vieille de 380 millions d’années, découverte en Australie occidentale.
Ces éléments remarquablement bien conservés fossiles proviennent d’une période de transition clé dans la longue histoire évolutive de cette espèce de poisson.
Cette étude est le résultat d’une collaboration internationale entre des chercheurs affiliés à des institutions du Canada, d’Australie, d’Allemagne, du Royaume-Uni et de Thaïlande.
« Fossiles vivants » : un concept en débat
Charles Darwin fut le premier à utiliser l’expression « fossile vivant » dans son livre L’origine des espècesen 1859, pour désigner des espèces vivantes qu’il jugeait « aberrantes » ou « anormales » par rapport aux autres de l’époque.
Même si le concept n’était pas clairement défini à l’époque de Darwin, il a depuis été repris par des centaines de biologistes. Cependant, le terme « fossile vivant » et les espèces qui méritent ce titre, restent un sujet de débat au sein de la communauté scientifique.
De manière générale, pour qu’un taxon (un groupe ou une entité scientifiquement classé) soit considéré comme un « fossile vivant », il doit répondre à certains critères : il doit appartenir à un groupe qui existe depuis des millions d’années, qui a peu changé morphologiquement au fil du temps, et présentent des caractéristiques dites primitives par rapport à ses proches parents évolutifs.
Une histoire fascinante : les Cœlacanthes à travers les âges
Plus de 175 espèces de cœlacanthes fossiles ont vécu entre la période du Dévonien inférieur (il y a 419 à 411 millions d’années) et la fin du Crétacé (il y a 66 millions d’années). En 1844, le paléontologue suisse Louis Agassiz identifia un groupe particulier de poissons fossiles, qu’il nomma ordre des cœlacanthes.
Pendant près d’un siècle, on a cru que les cœlacanthes avaient disparu à la fin du siècle. Période Crétacéil y a environ 66 millions d’années. Durant cette période, près de 75 pour cent de la vie sur Terre est devenue éteintdont la majorité dinosaures — à l’exception de l’ancêtre des oiseaux.
Puis, le 22 décembre 1938, Marjorie Courtenay-Latimerle conservateur du East London Museum en Afrique du Sud, a reçu un appel d’un pêcheur qui avait attrapé un poisson rare et étrange. Elle s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une espèce inconnue et a contacté l’ichtyologue sud-africain (biologiste des poissons) JLB Smith, qui a confirmé qu’il s’agissait en fait du premier cœlacanthe vivant jamais observé.
En 1939, Smith nomma l’espèce Latimeria chalumnaeégalement connu sous le nom gombessa. Depuis, cette espèce, présente le long de la côte est de l’Afrique, près de l’archipel des Comores, dans le détroit du Mozambique et au large de l’Afrique du Sud, suscite un intérêt scientifique considérable.
En 1998, une deuxième espèce vivante de cœlacanthe, Latimeria menadoensis (nommé Ikan Raja Lautle poisson roi de la mer, en indonésien), a été découvert au large de l’île de Sulawesi, en Indonésie.
Ces deux espèces sont les seules survivantes d’une lignée ancienne qui semble avoir peu évolué au cours des derniers millions d’années.
Suite à la découverte de Latimeria chalumnaeles cœlacanthes étaient considérés comme des vertébrés dont la forme du corps a peu changé au fil du temps, ce qui suggère une évolution lente.
Ngamugawi ou « poisson ancien »
Dans notre étude, nous décrivons une nouvelle espèce de cœlacanthe de la période dévonienne d’Australie occidentale. Nous l’avons nommé Ngamugawi Wirngarri. Ngamugawi signifie « poisson ancien » en Gooniyandi, la langue du peuple aborigène australien de la région de Kimberley. Wirngarri rend hommage à Wirngarri, un ancêtre respecté des Gooniyandi.
Ngamugawi Wirngarri a été découvert dans la formation géologique de Gogo, mondialement connue comme site fossilifère exceptionnel. Gogo est célèbre pour la préservation tridimensionnelle de nombreux fossiles de poissons, et parfois même de tissus mous tels que le coeur et les muscles.
À ce jour, plus de 50 espèces de poissons fossiles ont été identifiées à Gogo. Ce groupe diversifié de poissons, couplé à celui des invertébrés marins, cohabitait dans un Récif corallien des mers chaudes du Dévonien il y a environ 380 millions d’années.
Une évolution plus complexe qu’il n’y paraît
Notre étude révèle que les cœlacanthes ont évolué rapidement au début de leur histoire, au Dévonien, mais que cette évolution s’est ralentie par la suite. Les innovations évolutives ont presque cessé après la période du Crétacé, ce qui suggère que pour certains traits, les cœlacanthes, comme Latimeriesemblent figés dans le temps.
Cependant, d’autres caractéristiques, telles que les proportions corporelles, ont continué à évoluer à un rythme normal au cours de la période mésozoïque (il y a 252 à 66 millions d’années). Bien que la forme du corps ait peu changé, ce qui conforte l’idée selon laquelle Latimerie est un « fossile vivant », l’évolution de la forme des os crâniens n’a jamais cessé, ce qui remet en question l’étiquette.
De toutes les variables environnementales étudiées, l’activité des plaques tectoniques a l’influence la plus marquée sur les taux d’évolution du cœlacanthe. De nouvelles espèces de cœlacanthes étaient plus susceptibles d’émerger au cours périodes d’activité tectonique intense lorsque de nouveaux habitats ont été créés ou fragmentés.
Le Ngamugawi Cette découverte montre que les cœlacanthes ne sont pas restés inchangés depuis des millions d’années.
Leur lente évolution montre qu’ils ne sont pas des « fossiles vivants », mais plutôt le résultat d’une histoire évolutive complexe.
Cet article édité est republié à partir de La conversation sous licence Creative Commons. Lire le article original.